mercredi 28 novembre 2018

Le cauchemar

Un bureau et deux chaises... trois si je compte l'étrange dispositif médical sur lequel je suis assis, c'est là tout le mobilier que contient la pièce dans laquelle je me trouve. Juste à coté de moi, sur ma droite, une imposante machine dont j'ignore la fonction ronronne doucement.







Sur sa façade un écran et de multiples voyants diffusent une lumière bleutée, l'ensemble dégage une atmosphère plutôt menaçante. J'ai vite senti que ma situation n'était pas très enviable.
Pour rajouter encore à mon désarrois je réalise que je suis relié à cet appareil par un faisceau de câbles fixés sur mon crâne, l'ensemble me donnant la terrible sensation qu'une partie de mon énergie vitale m'est fournie par la machine, ou l'inverse, pour le moment je ne suis sur de rien. Un rapide coup d’œil tout autour de moi me confirme que je suis le seul être humain dans ce décors. Je ne comprend pas du tout comment je suis arrivé ici. Une fenêtre en face de moi donne sur un parking, ce que j'y vois est d'une banalité affligeante et ne m'apporte aucun renseignement sur ma situation, je pourrais bien être n'importe ou. J'ai beau me creuser la cervelle pour établir une relation entre ma présence dans cet endroit et un quelconque événement de mon existence, rien ne me vient, c'est le vide le plus total. Le temps qui s'écoule sans m'apporter la moindre explication rend l'atmosphère encore plus flippante. Il m'est déjà arrivé de perdre momentanément mes références, d'être dans l'impossibilité de me recaler dans l'espace et dans le temps, mais cela n'a jamais duré aussi longtemps et surtout ne m'a jamais paru à ce point réel.
Il va falloir que je me bouge histoire de canaliser l'angoisse que je sens grandir progressivement en moi. Faut dire que depuis quelques minutes une idée plutôt gênante à commencé à germer dans ma tête. Et si j'étais retenu prisonnier par une bande de psychopathes bien décidés à m'utiliser comme cobaye humain pour réaliser je ne sais quelle expérience scientifique ?? Il y a tellement d'histoires sordides qui resurgissent dans ces moments la. En attendant, pour ce qui est de bouger c'est fichu, je ne peux pas me lever sans débrancher tous les fils qui me relient à la machine. Est ce que je pourrai vraiment virer tous ces trucs sans me mettre en danger? je vais y réfléchir un peu avant d'agir. D'un coup je réalise que c'est mon blouson qui est posé en face moi. Ça ravive quelques souvenirs, fait revenir quelques images. Ce blouson, c'est un blouson de moto, je me souviens maintenant, je roulais à moto... J'ai sûrement été victime d'un accident et je suis maintenant dans une clinique, j'ai sans doutes subit un traumatisme, ce qui expliquerait bien ma perte de mémoire.
Alors que je fais un maximum d'efforts pour essayer de rassembler mes souvenirs, la porte derrière moi s'est ouverte brusquement et un vieux monsieur en blouse blanche a pénètré dans la pièce. Il s'est rapidement installé derrière le pupitre de la machine et a commencé la procédure de mise en marche.
Pas un regard dans ma direction, pas une parole, cette indifférence par rapport à ma présence n'a rien fait pour me rassurer, j''aurais été un rat de laboratoire que ce mec ne m'aurait pas montré plus d’intérêt. J'ai bien senti qu'il allait falloir que je me manifeste assez vite, que je lui fasse comprendre d'une manière ou d'une autre que j'étais un être humain et non un animal sur lequel on pouvait se livrer à toutes sortes d'expériences. Avant même que je ne prononce la moindre phrase le bonhomme s'est tourné vers moi pour m'interpeller assez sèchement.

- Vous êtes quand même le deuxième que je dois reprogrammer aujourd'hui... Je ne comprendrai jamais ce que vous avez dans la tête, pouvez pas vous déplacer comme tout le monde non ??

Cette phrase à la fois mystérieuse et lourde de menaces m'a tétanisé encore un peu plus. Dans ma tête j'ai bataillé pour essayer de donner un sens rationnel à tout ça. J'avais même réussi à bâtir un semblant de scénario. Je devais rouler à moto, j'ai eu un accident, j'ai du causer des dégâts, peut être même fait des victimes, mais je n'en avais pas le moindre souvenir. Il aurait été plus logique que je me retrouve dans un commissariat plutôt que dans cette salle blanche en face de ce savant fou, en plus, je n'étais même pas blessé. Et puis il y avait autre chose, que signifiait cette histoire de reprogrammation ?? Branché comme je l'étais à cette espèce de machine bizarre le mot prenait une connotation science fiction des plus désagréables.
Mon savant fou à continué de s'affairer sur son clavier pendant que je cherchais une explication à tout ce cirque. Son aisance avec l'outil informatique m'a étonné. Un instant je me suis fait la remarque que ce mec n'était sûrement pas un flic vu la facilité avec laquelle il maîtrisait sa bécane. Cette pensée m'a fait sourire, même dans une position aussi malsaine mon cerveau arrivait encore à sortir de tels poncifs. Cela m’a un peu détendu et j'ai réussi finalement à lui poser la question

- J’ai eu un accident n'est ce pas ? Il y a eu des dégâts, des blessés ? Vous pouvez m'expliquer ce que je fais ici ? Ce que vous allez me faire ?

L'homme en blanc, je ne sais toujours pas comment l'appeler autrement, s'est arrêté de pianoter sur son clavier pour se retourner lentement vers moi. Je lui aurais déclamé un poème en Serbo-croate que ce type n'aurait pas posé un regard plus étonné sur moi. Il s'est frotté longuement le front avec sa main droite, comme s'il réfléchissait à la façon la plus facile de m'annoncer une catastrophe et m'a répondu d'un air lassé

- Un accident ? Des blessés ? et pourquoi pas des morts aussi ? Et avec qui voudriez vous avoir un accident cher monsieur, il n'y a plus personne sur les routes depuis bien longtemps, à part des excentriques comme vous, des personnes qui font n'importe quoi, qui se plaisent à défier la société.

Le type à du s'apercevoir en voyant ma tête que je ne comprenais pas grand chose à son discours. Il a grommelé deux trois mots pour lui et à finalement daigné me donner quelques explication, un peu comme on offre une dernière cigarette à un condamné.

- Vous viviez où ces dix dernières années ? dans une grotte ? vous savez les explications, tout ça ce n'est pas vraiment mon boulot, moi je ne suis qu'un technicien en reprogrammation... Pour le côté pédagogique y'a des spécialistes...

Il a quand même daigné m'en dire un peu plus sur la raison de ma présence dans le département "re insertion et reprogrammation" c'était le nom officiel du lieu dans lequel j'avais attéri. Je l'ai écouté me raconter mon histoire sans broncher. Pour un mec dont ce n'était pas le boulot il ne s'en sortait pas si mal. Il a commencé son récit en s'en tenant aux grandes lignes, mais rapidement il s'est pris au jeu et m'a donné beaucoup plus de détails.

- Vous devriez savoir que tous les moyens de transports terrestres ont été abandonnés depuis pas mal de temps. C'est fini les ballades en moto, les déplacements en train, terminés les voyages en avion. Le grand changement dans nos modes de déplacement a débuté après qu'une équipe de scientifiques ait fait une importante découverte. 

 Il me regarda l'air interrogateur. Il devait s'attendre à ce que je lui donne un petit signe, histoire de lui faire comprendre que oui, finalement ça me revenait en mémoire. Moi j'étais toujours en plein brouillard et maintenant je m'attendais au pire.

Vous vous rappelez de ça non ? A l'époque ça a fait grand bruit dans les médias, et pour une fois ce n'était pas des infos débiles. Des scientifiques de je ne sais plus quelle université au Canada ont trouvé le moyen de faire passer un objet d'un point "A" à un point "B" sans le déplacer physiquement. Ça s'appelle la téléportation, c'était le grand truc des films de science fiction des années 90. Et bien cette prouesse scientifique ils venaient de la réaliser pour la première fois en laboratoire. Les technocrates, les ingénieurs, même les financiers n'ont pas tardé à faire la liste des nombreux débouchés que promettait cette nouvelle invention. Parmi toute les applications intéressantes il y en avait une qui pouvait résoudre pas mal de problèmes d'un seul coup, des problèmes jusque là difficiles à gérer par nos gouvernements, le transport des citoyens. Si on arrivait à déplacer les personnes grâce à cette technique on avait la possibilité de résoudre définitivement la pollution, les embouteillages, le réchauffement climatique, la mortalité routière... et j'en oublie.

Si j'ignorais encore tout du sort qui m'était réservé après cet exposé, j'en étais pas moins captivé par le récit. J'étais quand même très étonné, je ne savais rien de cette fameuse révolution technologique, ou avais je donc vécu pendant toutes ces années ? Pourquoi j'ignorais tout de ces changements ? L'exposé a repris après une courte pause, je n'étais pas au bout de mes surprises.


- Les scientifiques sont rapidement parvenus à améliorer la technique et ils ont finalement réussi à téléporter des êtres humains. De nos jours les progrès sont tels que ce mode de déplacement a remplacé tous les autres. Il est à la fois propre et totalement sur.

Il s’arrêta un instant de parler et sourit légèrement. Visiblement il venait de penser à quelque chose de drôle.

- Vous vous souvenez du film de David Cronenberg "La mouche" ? Dans le scénario Jeff Goldblum incarne un biologiste de renom qui a construit en secret une machine capable de téléporter des objets. Son objectif in fine, c'est d'adapter la technique afin de pouvoir l'appliquer aux humains. Lors d'un essai dans lequel il sert lui même de cobaye il ne s'aperçoit pas de la présence d'une mouche dans la cabine de téléportation. Le bagage moléculaire et génétique du chercheur fusionne avec celui de l'insecte, et quelque temps après le scientifique se transforme lentement en mouche et meurt. A l'époque c'était un film de science fiction, mais vous savez, il n'y a pas si longtemps, lors des premières phases d'essai avec des êtres humains, les scientifiques ont beaucoup redouté ce problème. Aujourd'hui ça fait sourire parce que la technique est tout à fait au point. Un voyageur de commerce peut se faire téléporter tout habillé avec son attaché case à la main sans avoir peur de se retrouver à l'arrivée avec une cravate à la place du cœur et un poumon en guise de mallette.

J'en ai appris encore bien plus que je ne le désirais au sujet de ce nouveau mode de déplacement et des nouveaux comportements que ça avait suscité. Mon interlocuteur semblait intarissable sur le sujet, il devait être prof à ses moments perdus. Pour se dématérialiser et se ré-matérialiser on utilise des genres de petites stations, un peu comme nos anciennes cabine téléphoniques, on peut en mettre partout, certaines personnes possèdent même leur système personnel. La téléportation s'effectue dans n'importe quelle partie du globe à n'importe quel moment pourvu qu'il y ait un appareil récepteur à l'endroit ou on veut se rendre. Parallèlement les gouvernements ont progressivement interdit toute utilisation de moyens de transports mécaniques du style voiture ou motos... Trop polluants, trop dangereux. Pour les contrevenants il existe une méthode efficace pour les remettre dans le droit chemin, la reprogrammation, on efface de vos souvenirs tout ce qui peut avoir un lien avec la conduite d'un engin motorisé, et hop vous ne concevez plus le voyage qu'en terme de déplacement instantané d'un point A à un point B, il ne se passe plus rien entre les deux. Je comprenais maintenant la raison de ma présence ici. En voulant continuer à piloter ma moto je m'étais placé en infraction, et j'avais du me faire prendre à plusieurs reprise pour mériter une telle sanction. J'allais avoir droit à ma reprogrammation. L'exposé terminé, mon bourreau s'est approché de moi. Il a refixé correctement le faisceau de fils me reliant à la machine et à vérifié quelques connections

- Ne vous inquiétez pas le processus est totalement indolore. Vous allez perdre connaissance quelques minutes, le temps qu'il faut au logiciel pour analyser votre cervelle et nettoyer tout ça. Vous vous réveillerez sans aucune séquelles, tout juste une marque sur le front pendant quelques heures, là ou les câbles sont connectés à votre tête, ça chauffe un peu, rien de méchant...

Je crois bien avoir crié à l'instant ou le processus de régénération à démarré. Un cri de désespoir pour la perte de tous les moments magiques que j'avais pu vivre dans ma vie de motard, mais surtout un cri de colère à l'idée de devoir vivre dans ce monde aseptisé, un monde où il ne sera plus jamais possible de rouler sur une bécane dans la campagne au petit matin, plus jamais possible de vivre cette passion.
Et puis il y a eu cette sensation de chute, interminable, mais avant de perdre totalement connaissance, j'ai eu le temps de voir disparaître au dessus de moi les morceaux de mes souvenirs, pièces de puzzle d'une vie de motard, des ballades entre amis sur de belles routes sinueuses, des randos en solo avec pour seul compagnon le soleil d'été, des voyages avec ma femme, des rencontres... tout a volé en éclats avant d'être irrémédiablement aspiré par cette machine imbécile.





Epilogue

Je me suis rarement réveillé aussi brutalement. Ce matin je bat tous les records, j'ai le pouls en zone rouge et je transpire abondamment. Cette fois le cauchemar était vraiment puissant. Assis dans le lit je regarde autour de moi, tout semble normal, je reconnais jusqu'aux moindres petits objets, tous sont bien rangés à leur place. Par la fenêtre entre-ouverte j’entends les enfants qui chahutent un peu plus loin, c'est normal à cette heure de la matinée l'école vient d'ouvrir ses portes. La rue qui passe devant le collège est complètement bouchée par des dizaines de voitures, décidément c'est toujours le même bazar. Dans la salle de bain j’entends ma femme qui se prépare. Comme elle m'a entendu bouger dans la chambre je ne tarde pas à voir apparaître sa tête par la porte entre-baillée. La brosse et le sèche cheveux n'ont pas encore terminé leur boulot et sa chevelure en bataille lui donne cet air de lutin qui me plaît tant.

- Tu as as eu une nuit agitée mon amour, encore ces cauchemars ? Je t'ai laissé dormir un peu plus longtemps que d'habitude mais maintenant il faut te lever... Tu n'oublies pas que tu dois m'emmener au boulot ce matin, il fait beau j'ai pensé qu'on pourrait y aller à moto... Qu'est ce que tu en dis ?



Je n'ai pas répondu tout de suite, j'avais l'impression de revenir d'un long voyage. Du coup elle est venue s’asseoir à côté de moi, a cherché ses lunettes et m'a observé un peu inquiète. Je n'avais finalement pas l'air si mal en point. Rassurée elle m'a ébouriffé les cheveux gentillement comme on fait à un enfant un peu fatigué

- Va te mettre sous la douche rapidement ça te remettra les idées en ordre... Et profite en pour enlever cette grosse tache rouge sur ton front, je ne sais pas comment tu t'es fait cette marque, mais ça te donne un air bizarre...





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