dimanche 28 octobre 2018

Taquiner la poignée... ou pas

La moto avance à vive allure sur cette route de campagne, un peu trop vite diraient certains. Si le motard qui la pilote semble grisé par la vitesse cela n’empêche pas son cerveau de fonctionner. L'hémisphère gauche, celui qui est raisonnable, a bien intégré la présence du panneau "80" qui rappelle aux conducteurs qu'ici en France il y a des règles à respecter, mais l'hémisphère droit, celui qui ne pense qu'à se faire plaisir s'en moque éperdument et voudrait bien libérer un peu plus la cavalerie.



C'est fichu, tant que les conditions de circulation permettront une conduite "dynamique" les deux parties du cerveau vont se tirer la bourre, prudence et respect des limitations de vitesse contre plaisir et sensations, le match est serré, du coup ce n'est pas toujours la raison qui l'emporte... Bienvenue dans la tête d'un motard, une tête qui se retrouve parfois en mode schizophrène, le temps d'un run.


Le motard s'est fait violence pour quitter son lit douillet ce matin, le froid, la nuit, tout ça n'était pas très motivant, mais maintenant la récompense est là devant lui sous la forme d'un long ruban d'asphalte qui gravit la montagne en zigzaguant. Vu de son guidon ça lui fait penser à immense serpent dont la tête se cacherait quelque part la haut dans la brume. Un instant il pense au Vercors, sa destination favorite, il a longtemps hésité avant de partir mais maintenant il se dit qu'il a eu raison de changer, il y a de superbes routes aussi en Ardèche.
Le motard n'est pas venu ici juste pour admirer le paysage, ce matin il est en mode foufou et ce coin pourrait devenir un des ses spots favoris lorsqu'il a envie de rouler un peu plus vite qu'à l'accoutumé. Sous son postérieur la centaine de canasson n'attend plus que son signal pour partir à l'assaut de ce monstre de bitume, suffit juste de taquiner la poignée droite. Un peu... beaucoup...





Étonnamment, la plupart du temps le motard respecte le code de la route

Le motard comme tous les membres de sa communauté profite de la moindre occasion pour sauter sur sa moto, il roule beaucoup. Étonnamment, la plupart du temps il respecte le code de la route, faut dire qu'il n'est plus tout jeune et avec l'âge il est devenu bien plus raisonnable. Ce n'est pas un ange pour autant et il lui arrive parfois d'avoir envie de rouler un peux plus fort que d'habitude, de faire cracher un peu le moteur de cette bécane, il l'a achetée en partie pour ça. Ces poussées d'adrénaline elles se déclenchent surtout lorsqu'il se retrouve sur de belles petites routes de campagne pleine de courbes. Dans ces moments la sa moto se transforme en engin diabolique, en démon aguicheur, qui lui ferait presque croire qu'il a du sang de champion dans les veines. Faut dire que les sensations qu'elle lui procure sont dignes des sports de glisse les plus radicaux. Elles ont en commun le besoin d'évoluer rapidement dans un environnement qui ne le permet pas toujours sans une certaine prise de risque. Le motard le sait bien, il ne va pas pouvoir se métamorphoser en coureur de grand prix sur les départementales sans rencontrer quelques problèmes, il va falloir jouer finement.
Notre motard le sait, le concept même de la moto fait que c'est un passe temps dangereux. Il n’a pas été long à comprendre qu'un engin qui ne possède que deux roues et ne tient droit que grâce à la vitesse est beaucoup plus vulnérable qu'une automobile qui en comporte quatre. En d'autres termes, toutes les mauvaises surprise qu'il va fatalement rencontrer sur la route, densité de la circulation, incivilités, météo, état du macadam, vont rapidement dégrader sa sécurité. Alors pour ne pas se fracasser la tête au premier virage il garde la plupart du temps un minimum de raison, et beaucoup d'humilité.
Comme si cela ne suffisait pas des nouvelles réglementations on rajouté quelques contraintes. Depuis le 1er juillet la vitesse max sur le réseau secondaire à été ramenée à 80km/h et des radars omniprésents se font un plaisir d'immortaliser les petits malins qui l'oublient trop facilement. Une menace supplémentaire à prendre en compte lorsque le démon le tente, décidément la vie sur deux roues n'est pas facile.




Sur deux roues il faut un minimum de raison et beaucoup d'humilité

Pour les personnes qui n'ont jamais eu de "relations physiques" avec une moto, il est tout à fait raisonnable de se demander ce que notre motard peut trouver de si sympa à ce mode de déplacement sur deux roues. D'ailleurs ses amis, sa famille, tous lui ont déjà demandé s'il trouvait ça sérieux de jouer ainsi avec sa vie. Quelques dizaines de minutes de plaisir et de sensations valent elles de se mettre en danger ???
Question difficile à laquelle notre motard ne peut souvent donner qu'une réponse toute personnelle. Il y a réfléchit de nombreuses fois et s'est finalement persuadé qu'il est illusoire de vouloir vivre une vie dans laquelle il n'y aurait aucun risque, tout juste peut on tenter de les minimiser, de mettre le maximum de chance de son coté. La vie est remplie d'écueil que l'on tolère sans trop y penser et sur lesquels on risque finalement de s'écraser un jour, boire de l'alcool, fumer des clopes, manger trop sucré, trop gras, lire un livre de Zemour... Et pour le coup rouler à moto en serait un aussi ???
Le motard ne le pense pas. Pour lui, grâce à sa prudence et à son expérience il ne risque guère plus qu'un autre usager de la route, en plus il a la chance maintenant de ne plus être obligé de rouler sur les voies à forte circulation aux heures de pointe, dans l'ensemble il trouve son karma plutôt bon. En contrepartie la moto lui apporte tellement de plaisir qu'il imagine difficilement s'en priver un jour sans un motif vital. Reste qu'il est régulièrement sujet à de petits accès de folies, moments pendant lesquels il a tendance à rouler plus vite qu'il n'est permis, juste pour se faire plaisir. Il en est conscient, c'est de ce côté la qu'il y a un travail à faire. Mais il est persuadé que le truc ce n'est pas de les supprimer ces moments, surtout pas, les conséquences seraient catastrophiques, les frustrations trop dures pour sa santé mentale, un peu comme lorsqu'on fait un régime très sévère et qu'on fini par craquer, on se retrouve souvent dans une situation pire qu'avant de commencer. Alors il continue à se faire des petites séquences de conduite rapide mais de façon intelligente. Terminés les comportements du "motard connard", les vitesses excessives dans les endroits à fort trafic, les départs style grand prix entre deux feux rouges, les remontées en inter file à fond, les dépassements limites.... et j'en oublie. En contrepartie lorsqu'un  tronçon de route se prête à une conduite un peu plus soutenue le motard se lâche.
Je vis souvent les mêmes tourments, car vous vous en doutez ce motard je lui ressemble un peu. Ce matin par exemple, j'ai quitté Lyon de bonne heure pour une ballade en Ardèche et je suis maintenant à Tournon. La N89 sur laquelle je circule depuis une vingtaine de kilomètres n'est guère intéressante. Elle traverse un nombre important de petites villes pleines de monde et de bouchons, le plaisir de conduire n'est pas vraiment au rendez-vous et la prudence de mise. Alors quand arrive enfin la D534 qui monte sur Lamastre, c'est un peu le Graal du motard. Ce tronçon ne traverse que très peu d'agglomération et le macadam est juste parfait, et pour ne rien gâcher il n'y a en général que très peu de voitures. Cette route suit le vallée du Doux sur une trentaine de kilomètres, s'enroule en virages serrés mais jamais trop vicelards, (et ceux qui pourraient l'être je les connais) ce qui fait qu'il n'est même pas nécessaire de rouler à des vitesses supersoniques pour se faire plaisir, le tout dans un décors de charme sur une trentaine de kilomètres. Attention il n'est pas question de faire des chronos, de confondre route et circuit, juste rouler à une vitesse qui permette de prendre un peu plus d'angle dans les virages, de faire rugir le moteur en sortie de courbes et de freiner un peu plus fort en arrivant sur le suivant, bref prendre du plaisir à conduire une moto.
Trente kilomètres plus tard j'arrive sur la place centrale de Lamastre, c'est le moment de se soumettre au rituel du chocolat chaud, et aussi l'occasion de revivre dans ma tête cette montée. A aucun moment je n'ai eu le sentiment de jouer ma vie ou celle d'autrui à la roulette russe. Évidemment j'ai vraisemblablement pris un peu plus de risques qu'en restant couché chez moi, encore que l'inaction ne mette pas totalement à l’abri du danger. Aurais je été davantage exposé si j'avais fait du saut à l’élastique, ou si j'avais continué à faire de l'aviation de loisirs???  La perception des risques est très personnelle et donc assez subjective, perso la spéléologie et la plongée sous-marine me paraissent tellement plus dangereuse. Mais ne tombons pas dans le panneau, si nos élites ont tendance à diaboliser le risque et finissent souvent par en faire un délit histoire de l'éradiquer, réfléchissons un peu à ce que deviendrait une société dans laquelle le "risque zéro" serait le but ultime à atteindre. On peut se dire en rigolant que nous en sommes encore loin, certes, mais dans certains domaines, ceux pour lesquels la répression des masses est facile à mettre en oeuvre, (sécurité routière par exemple) n'avez vous pas l'impression qu'on en prend le chemin, que ce n'est plus qu'une question de temps ?
Me reviennent en tête ces quelques mots de Paulo Coelho "...vivre c'est risquer de mourir..."

Merci aux dessinateurs du Joe Bar Team à qui j'ai emprunté les dessins qui illustrent ce post

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