mardi 16 mai 2017

Tourisme archéologique

Je plonge régulièrement dans les profondeurs de l'internet ou je me ballade pendant de longues heures à la recherche d'infos intéressantes. J'ai rarement d'idée précise, je fouille, je gratte et de temps en temps je trouve enfoui au milieu de quantité de choses inutiles, un article qui me plait, il m'arrive même certaines fois d'y trouver une idée de sortie moto.


C'était le cas hier soir. A la suite d'une séance plus fructueuse que les autres j'ai remonté dans mes filets plusieurs récits concernant le mont Granier qui, une fois lus, ont éveillé ma curiosité.
Je furetais parmi les publications historiques de la région Rhône Alpes depuis de longues minutes et je n'avais encore rien trouvé d’intéressant. J'avais réussi à me faufiler sans trop perdre de temps à travers les couches denses des publicités et des sites de réservation en ligne genre Booking et autres Tripadvisor, et j'étais maintenant dans des zones plus calmes, propices à la découverte. Quand tu plonges dans le net, ce n'est pas comme en mer, les paliers ils se font à la descente. Soudain, planqué entre deux liens qui n'avaient aucun rapport avec mes recherches, voilà que je tombe sur cette phrase préfaçant un article consacré à la Chartreuse:
 - " Un pan entier du mont Granier s'est détaché dans la nuit, l'éboulement qui a suivi a enseveli au moins cinq paroisses en faisant plus de mille morts..."
Bien heureusement, en lisant un peu plus attentivement le texte je me suis aperçu que ce fait d'hiver tragique avait eu lieu en l'an 1248, un 24 novembre pour être plus précis. D'accord le truc datait un peu mais  un tel évènement avait du laisser des traces qui devaient surement être encore visibles de nos jours. Il n'en fallu pas plus pour titiller ma curiosité, et pour finalement décider qu'aller examiner cet endroit de plus près pourrait très bien faire l'objet  d'une future destination de sortie moto.
Si comme moi vous avez vu le jour loin de la région grenobloise et que vous peinez toujours à situer le Mont Blanc sur une carte de France, il est utile de rappeler que ce fameux mont Granier il se trouve en Chartreuse. C'est même un des trois plus hauts sommet de ce massif. Sa silhouette remarquable se dresse à une vingtaine de km au sud de Chambéry, à peine à un peu plus de 100 km de Lyon, une rigolade pour une CB1300 élevée au sans plomb 95 comme la mienne.
L'idée de rajouter une petite dimension historique à notre prochaine escapade moto m'excite plutôt, et sitôt mon coéquipier d'accord pour l'expédition, j'ai rapidement en tête le roadbook qui va bien, à nous les joies de l'archéologie touristique à motocyclette.
 
Un parcours qui va nous mener aux pieds des trois plus grands sommets du parc de Chartreuse

Je vous dois un minimum d’honnêteté, nous n'allons pas faire tous ces kilomètres juste pour voir des cailloux, si historique fussent ils. Je vais ajouter à ce programme des tours et des détours, le massif de Chartreuse regorgeant de paysages superbes et de point d’intérêts qui pour certains ont même un lien avec notre fameux éboulement.
J'ai profité de la pause café à Voiron pour raconter à mon ami comment m'était venu l'idée d'aller rouler dans cette région. J'étais un peu anxieux quant à sa réaction. Finalement, faire plus de 300kms A/R pour admirer les traces d'un éboulement vieux de plus de 700 ans ne l'a pas surpris plus que ça, y'aura des virages? du beau paysage? un restau à midi? Pourvu qu'il y ait l'essentiel, ça lui convient à mon pote.
Nous entrons dans le massif de Chartreuse par la D520 qui va nous conduire jusqu'à Saint-Laurent-Du-Pont. Hormis le tout début de la montée qui offre une jolie vue sur Voiron, les premiers kilomètres ne m'emballent pas plus que ça, tant la route est tristoune et pleine de camions. J'en suis déjà à me demander si cette destination est vraiment judicieuse, quand vient le moment de tourner à droite sur la D520B en plein centre ville. Très rapidement les choses s'arrangent et le moral se remet au beau. La route (petite) se faufile entre la paroi rocheuse et un ruisseau (le Guiers Mort). Elle devient vraiment jolie après avoir franchi le "Pont St Bruno", se frayant de nombreuse fois un passage dans la roche. Plus de camions, très peu de voitures, nous croisons seulement quelques meutes de 1200GS, espèce de moto endémique des régions montagneuses, qui se jouent des petites routes défoncées et des passages difficiles.

La D520B se faufile sous la montagne...

Ou s'abrite sous des parapluies géants
Arrivés à la station de St Pierre de Chartreuse, on prend à droite sur la D512 puis sur la gauche la D57B qui se transforme rapidement en D30E, avec en ligne de mire le "Col du Coq" qui nous fera grimper à 1434m, enfin quand je dis "nous fera grimper" ce sont surtout les motos qui feront le boulot...
Cette D30E qui traverse d'abord une grande forêt n'est pas ce que j’appellerai une belle route pour les motards. Elle ressemble le plus souvent à un sentier forestier, et les travaux de débardage qui battent leur pleins l'ont partiellement recouverte de terre et de branches à de nombreux endroits. Possesseurs de motos sportives il existe surement des chemins plus adaptés à vos engins.

Au début de la montée ce panneau rassurant qui ne présage en rien du bon état de la route à venir  !!!

Le pic de "Chamechaude" 2082m apparait régulièrement entre les branche des sapins

La gentiane, une plante qui entre surement dans la composition de la liqueur des moines Chartreux, mais comment en être sûr, la composition reste secrète

Visible aussi pendant la montée au "Col du Coq", la "Dent de Crolles" 2062m
En moto on est en prise directe avec la nature, du coup on ressent bien la puissance de l'environnement, alors lorsqu'on arrive au sommet d'un col c'est plus fort que tout, il faut s’arrêter. Les yeux dans le paysage, on se surprend à se dire qu'un col c'est presque une faveur que nous fait "Dame Nature" en nous laissant passer plus facilement de l'autre coté du massif montagneux. Ça mérite bien une petite minute de recueillement et aussi une photo non?

L'arrivée au "Col du Coq". même pas fatigué!!! (photo Erick)
La route nous amène maintenant sur les bords Est du massif. La vue plongeante sur la vallée du Grésivaudant est impressionnante (n'oubliez pas que je suis né dans la banlieue parisienne).
Dans la grande descente qui suit, la conduite de la moto devient plus difficile. Prendre de bonnes trajectoires lorsqu'on est en plein freinage est bien plus technique qu'avec une voiture, les gravillons et les trous dans la chaussée sont autant de pièges qu'il faut surveiller sans relâche. Les quelques dizaines de secondes de répit que nous donnent les bouts de route tout droits nous permettent seulement de jeter un coup d’œil furtif sur la chaine de Belledonne, de l'autre coté de la vallée. Elle est encore toute saupoudrée de neige à cette saison. De nouveau l'arrêt est obligatoire et la photo aussi.

Le coté Est du massif de la Chartreuse et sa vue sur la chaine de Belledonne
Nous passons la ville de Saint Hilaire du Touvet. Ici c'est un peu la Mecque du vol libre. Parapente, parachute, delta, etc... Tout ce petit monde se balance dans le vide pour atterrir 1000m plus bas dans la commune de Lumbin. Aujourd'hui malgré le soleil nous n'avons pas vu d'amateurs, pas encore assez de chaleur pour les ascendances peut-être?
Nous continuons notre avancée vers ce qui sera le point d'orgue de cette journée... Le "Mont Granier", mais avant tout il va falloir faire une pause ravitaillement. Nous avons eu un peu de mal à concrétiser car on n'est pas encore en saison touristique et beaucoup de restaus sont toujours fermés... On trouve finalement notre bonheur, la "Grange aux Loups" avec sa terrasse accueillante et son entrecôte au bleu de la région.

La "Dent de Crolles" vue sous un autre angle
Des travaux de voirie nous coincent un bon 1/4 d'heure

Mais le temps passe et il faudrait peut-être en venir à ce qui était le but de cette sortie d'aujourd'hui, à savoir ma confrontation avec un lieu dévasté par un éboulement catastrophique. Nous nous secouons un peu histoire de nous débarrasser de cette torpeur post-café qui commence à nous submerger, en selle donc pour le reste de la boucle. La D30C grimpe jusqu'à Chapareillan en passant par le Col de Marcieu. La route est paisible, et nous offre souvent des vues sur la massif du Mont Blanc. Encore un arrêt photo, désolé Erick!!!

Au loin dans la brume le Massif du Mont Blanc

Il apparait finalement sur notre gauche le fameux Mont Granier. A cause de l'angle sous lequel on le découvre il ne semble pas si imposant que la "Dent de Crolles". A le regarder de profil, je devine l'endroit duquel s'est détaché le pan de rocher, à l'extrémité nord du pic. N'ayant aucune photo d'avant 1248, je n'affirmerai rien 😅. La catastrophe s'est produite durant la nuit, comme souvent, et à enseveli au moins cinq villages faisant plus de 1000 morts. la coulée d'environ cinq cent millions de m3 de roche et de boue s'est étalée sur une vingtaine de Km2, et il n'y eu parait il aucun témoin visuel survivant. La catastrophe fut décrite à l'époque par des moines (des Chartreux j'imagine, vu qu'ils sont sur place depuis l'an 1000), qui s'empressèrent d'interpréter ce phénomène comme étant une punition divine à l'encontre de ces malheureux habitans (1).
De nos jours l'éboulis à été recouvert par la végétation, mais pas totalement. Il reste à quelques endroits des traces de cette catastrophe sous la forme d'énormes blocs de pierre ayant roulé jusqu'à plusieurs Kms de la montagne. Le plus imposant est le bloc que l'on appelle la "Pierre Hachée". Il mesure plus de 1000m3, il a roulé pendant 6Kms avant de stopper pour toujours. Ce rocher servait jusqu'au milieu du XVIIIème siècle de frontière entre la France et la Savoie.
Si l'éboulement ne se voit plus, en revanche la quantité de matière calcaire descendue de la montagne permet depuis ce temps la culture de la vigne, et donne notamment des appellations de vins de Savoie connues, tel l'Apremont ou le Vin des Abymes.

Tout est résumé sur cette photo. Le Mont Granier, la Pierre Hachée, les vignobles d'Apremont et des Abymes.

Aujourd'hui, les petits villages d'Apremont des Marches et de Myans sont posés tranquillement au pied du géant. Il se produit régulièrement des éboulements, mais heureusement d'ampleur bien plus modeste que celui de 1248. Coïncidence amusante, le dernier en date a eu lieu il y a presque un an jour pour jour (le 14/05/16), libérant une coulée de boue qui obstrua la route du col du Granier.
Il faut bien finir par s'arracher de cet endroit tellement chargé en émotion. La D912 nous conduit jusqu'à Saint Pierre d'Entremont, puis les Echelles avant de récupérer l'autoroute àprès Pont de Beauvoisin.
Voilà une journée de roulage et de visite bien remplie. Avoir lu tous ces témoignages historiques avant de venir les observer sur place donne du corps à cette sortie. Ce soir pour moi un bloc de pierre n'était plus un simple bloc de pierre, il avait une histoire derrière lui, et pour l'un d'entre eux un nom, je m'y suis attaché, vous savez, un peu comme le renard apprivoisé du Petit Prince de St Exupery.
Mais je vous entend déjà me dire que nous sommes passés à coté de l'essentiel, le monastère de la Grande Chartreuse et son musée qui explique la vie des moines. Le monastère en lui même n'est pas visitable, les disciples de cet ordre s'étant isolés depuis plus de 900 ans du reste du monde (ils ont vécu le grand éboulement). Je n'ai pas un penchant très développé pour tout ce qui touche à la religion, et j'ai déjà eu l'occasion de visiter le musé dont la mission est d'essayer de faire comprendre les motivations  de ces humains qui se coupent volontairement de leurs semblables.
Il reste quand même que se sont ces mêmes moines qui depuis le XVIIème siècle nous régalent avec leur liqueur de Chartreuse. La composition du breuvage est secrète,  mais voilà, les caves ne sont pas sur place en Chartreuse mais à 80Kms dans la ville de Voiron.
L'objet d'une future visite sans doutes.









(1) Infos extraites du PDF de Mr Bernard Baron "Histoire et Patrimoine"
http://www.vivreamyans.com/


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